Le désert du Gobi

Le Gobi

En été 2011, je me suis rendu en Mongolie dans le sud de Bayankhongor et dans l'Ömnögovi. Ces régions du désert de Gobi offrent une diversité de paysages impressionnante. On y trouve des plaines arides, des dunes, des montagnes erodées, des pâturages où peuvent transhumer les nomades et même des oasis. Ce voyage avait pour but principal d'observer les saxauls, un arbre au bois dur de la famille des Amaranthaceae qui peut atteindre plus de deux mètres de haut. Son adaptation exeptionnelle face au rigueur du climat en fait un candidat idéal pour maintenir les sols et y préserver l'humidité.

Le climat

Le climat du Gobi est dominé par sa situation continentale, une haute pression atmosphérique et un phénomène d’ombre pluviométrique causé par la chaîne de l’Himalaya. La combinaison de ces facteurs a façonné ce désert, un des plus arides au monde. L’absence d’humidité empêche l’air de conserver la chaleur de sorte que les températures chutent rapidement après le coucher de soleil. Durant les longues nuits d’hiver, elles peuvent atteindre moins trente degrés Celsius. Les sols, les puits et tous les points d’eau gèlent pendant plusieurs mois. La vie se fige. Certains insectes ont évolué vers une tolérance au froid en produisant du glycérol ou d’autres stratégies permettant de maintenir leur fluide liquide. Mais la plupart des espèces ne bénéficient pas de ces adaptations. Alors, certaines populations disparaissent localement, d’autres entrent en diapause, se réfugient vers des microclimats protégés ou accomplissent leur cycle de vie en enterrant leurs œufs ou leurs larves. Les oiseaux migrateurs dont nombres d’espèces de grues, aigles, faucons, outardes, syrrhaptes, oies, cigognes, canards tadornes vont s’envoler vers le sud dans des régions plus chaudes. Puis, au printemps, des vents violents soufflent de Sibérie remuant poussière et sable qui peuvent s’amonceler en d’imposantes dunes ou forment des barkhanes. En été, le soleil devient impitoyable, mais c’est le moment choisi par la nature pour renaître. Les plantes qui se sont adaptées au manque d’eau peuvent enfin recoloniser ces sols minéraux et poursuivre leur cycle de vie. Les insectes aussi sortent de leur longue hibernation et les oiseaux migrateurs reviennent. Le réseau alimentaire reconnecte ses liens dans toute leur complexité. Mais ce moment d’euphorie reste court, bientôt les froids reprennent et à nouveau, la vie se fige.


Zichya baranovi mongolica
L'orthoptère Zichya baranovi mongolica est parfaitement adapté aux contraintes cimatiques du Gobi. Son exosquelette est brun clair avec des motifs blancs et sombres mais il peut être vert au début de l'été. Cette couleur lui sert de camoufflage, puis il vire au beige lorsque lorsque le climat et les plantes deviennent plus sèches. Son abdomen se termine par un long ovipositeur qui permet à la femelle de déposer ses oeufs profondement dans le sol afin de les protéger de la sécheresse et des prédateurs.
Zichya baranovi mongolica
Zichya baranovi mongolica peut prévenir les pertes en eau grâce à un exosquelette épais et un métabolisme lent. L'individu adulte ne vit que durant la saison chaude. Toutefois, ses oeufs lui survivent grâce à leur tolérance au gel et au fait qu'ils sont déposés sous terre.
Zichya baranovi mongolica
Cet individu mâle de l'espèce Zichya baranovi mongolica possède une paire d'appangdage situé au bout de son abdomen. Ces cerci servent d'organes sensoriels et probablement comme outil de séduction.
Gnaptor
La couleur noire de ce coléopthère, probablement un Gnaptor, parait mal adaptée au climat du Gobi. Toutefois, son exosquelette possède des microstructure permettant de réfléchir la lumière. Les Gnaptors déscendent sous terre pour se protéger du froid hivernal. Ils peuvent aussi entrer en diapose et produire du glycérol pour liquéfier leur fluide. Leur couleur noire leur permet d'absorber de la chaleur durant le printemps.
Charançons désertiques (Stephanocleonus)
La couleur blanche de ce charançon désertique (Stephanocleonus) permet de refléter lumière et chaleur. Ses larves se développent à l'intérieur des racines ou des tiges de plantes xérophytiques. Ils peuvent aussi entrer en diapose durant la période hivernale. Certaines espèces produisent un cryoprotecteur du genre glycérol.
Eodorcadion intermedium
Ce longicorne, probablement un Eodorcadion intermedium pond ces oeufs proche des racines de Poaceae. Les larves se développent dans les racines où elles s'alimentent du cortex. Elles progrèssent sous terre en suivant le système racinaire afin de se nourrir. Durant l'hiver, elles entrent en diapose dans des cavités protégées du gel. Puis, les longicornes émergent au printemps afin de poursuivre leur cycle de vie.
Les lézards sont aussi parfaitement adaptés à la survie dans le désert du Gobi. Ils se réfugient dans des cachettes pour se protéger du froid ou du chaud. Leur peau écailleuse permet de réduire la transpiration. Ils consomment l'eau des insectes qu'ils capturent.
Phrynocephalus przewalskii
Durant l'hiver, les lézards se réfugient sous terre où ils entrent en brumation. Une forme d'hibernation propre aux réptiles qui leur permet de réduire leur dépense énergétique.
Phrynocephalus przewalskii
Le Phrynocephalus przewalskii peut agiter sa queue pour communiquer des signes sans dépenser d'énergie.
Passer ammodendri
Le passereau Passer ammodendri construit son nid dans des trous de saxaul. Ils restent dans le Gobi toute l'année se nourrissant de graines de saxaul, d'arroche et de graminée.
Aegypius monachus
Les vautours de l'espèce Aegypius monachus ne migrent pas en hiver. Leur épais plumage les protègent des températures qui peuvent descendre jusqu'à -30°C. Aussi, ils se nourrissent de charognes qui ne manquent pas durant la saison froide.


Les paysages

Le désert du Gobi s’étend entre l’Alashan et les plaines qui précèdent les montagnes du Khangaï, l’Altaï et la longue steppe de l’Est. Il comprend de nombreux paysages qui possèdent chacun leur particularité accueillant divers écosystèmes et proposant divers modes de vie sociale. Cette diversité comporte notamment de vastes plaines arides, des déserts de cailloux ou de surface pierreuse, des dunes amassées par les grands vents printaniers, d’imposantes montagnes rocheuses telles que la chaîne de Bogd, de profonds canyons, des cônes alluviaux, des formations karstiques, des bassins intérieurs où s’accumulent des marais salés ou des lacs d’eau saumâtre et des oasis où une poussée végétale semble apparaître de nulle part. Chacun de ces environnements possède leurs écosystèmes où dominent différentes espèces de plantes, d’insectes, d’animaux. Chacune a réussi à s’adapter à des conditions extrêmes en développant des stratégies uniques qui ont permis à la vie de s’y maintenir et de faire front au biologiquement impossible.


Montagnes fortement errodées en arrière-fond, derrière un campement nomade. Province du Bayankhongor.
Malgré les rigueurs du climats, des plantes vivaces peuvent croître en individu isolé.
Dalle et surface rocheuse dans le Bayankhongor.
Sable et amoncèlments de roche dans le Bayankhongor.
Steppe à salsola dans le Bayankhongor.
Plaine de cailloux dominée par Anabasis brevifolia dans le Bayankhongor.
Steppe à stipa dans le Bayankhongor.
Streppe à stipa dans le Bayankhongor.
Racines et tiges ligneuse des plantes vivaces du genre Zygophyllum emprisonnent le sable formant des barkhanes.
Oasis de Tamarix sp. dans le sud du Bayankhongor.
Oasis de peupliers dans le sud du Bayankhongor. Ils apparaissent penchés dû aux vents printaniers.
Steppe à saxaul dans l'Ömnögovi.
Steppe à saxaul dans l'Ömnögovi.
Lorsque que les conditions le permettent, une grande diversité floristique peut s'installer. Ici, dominée par un genévrier au centre. Province de l'Ömnögovi.


Le pastoralisme mongol

Les nomades mongols élèvent cinq sortes de bétails. Il y a le bétail à courtes pattes, les moutons et les chèvres, et le bétail à longues pattes, les bovins ou yaks, les chameaux et les chevaux. Leur présence et leur proportion dépendent des conditions climatiques. Ainsi, au Gobi, on trouve plus de chameau et de chèvres mieux adaptés à cette région aride. Les chèvres peuvent survivre avec un minimum d’eau. De plus, elles parviennent à la conserver en réduisant la quantité de liquide dans l’urine et les fèces. Elles peuvent aussi s’alimenter de broussailles, d’épineux et de plantes sèches. Enfin, elles tolèrent bien les changements de température. Quant aux chameaux de Bactriane, ils peuvent boire jusqu’à cent litres d’un trait et cumuler des réserves de graisse dans leurs deux bosses. Cette graisse peut ensuite être convertie en énergie et en eau en cas de besoin. Ils peuvent fermer leurs narines lors des tempêtes de sable et leurs larges pattes leur permettent de progresser dans le sable ou la neige. Enfin, ils développent une épaisse fourrure hivernale afin de tolérer d’importants changements de températures.

Le cycle de vie du nomadisme au Gobi

Au printemps, après le Nouvel An mongol de tsagaan sar, les températures commencent à se réchauffer. Les journées s’allongent, les glaces fondent, les sols reprennent leur souplesse et les premières plantes émergent de leur graine. Parmi le bétail, c’est l’époque des naissances dans des conditions encore hasardeuses. Des vents violents se lèvent de Sibérie obligeant les éleveurs de placer les troupeaux dans les versants sud des montagnes ou dans un habitacle ouvert protégé derrières des murets de pierres et au par-terre isolé par des pétoles de mouton et de chèvres. Toute l’attention est donnée aux nouveau-nés qu’il faut parfois accueillir dans la ger pour assurer leur survie.

Un jour de printemps, avant le lever du soleil, la femme du foyer offre le lait de la première traite après le sevrage des nouveaux nés de l’année. Elle se tient debout, près de la ger (habitation de feutre des nomades mongols), avec une coupe pleine du précieux liquide. À l’aide d’une spatule en bois, conçue pour ce rituel, elle gicle une première rasade de lait vers le ciel et laisse tomber quelques gouttes par terre. Puis elle asperge les quatre directions en tournant sur sa droite dans le sens des aiguilles d’une montre. Cette cérémonie est accompagnée de prière et de souhait : « que le Ciel soit clément, la Terre généreuse et que le bétail croisse en bonne santé ». Il honneur l’Éternel ciel bleu (Tengri), la Terre (Etügen ekh), et l’esprit des ancêtres, des montagnes, des rivières et des animaux. L’Est symbolise le renouveau et la lumière, le Sud, la chaleur et la vie, l’Ouest, l’au-delà et les ancêtres et le Nord, les esprits chamaniques et la force protectrice.

Dès que le lait se met à couler, la vie nomade sort de son hibernation. Le lait est précipité en yogourt (tarag), le yogourt est filtré à l’aide d’un tissu aux larges mailles pressées sous des pierres pour donner un bloc carré de fromage blanc (artz) qui à maturité devient un fromage à pâte dur (byaslag). Le fromage blanc est coupé dans sa longueur et séché sur le toit des ger pour se transformer en un fromage sec et dur (aaruul) qui peut être conservé durant de nombreux mois, voir années. La peau du lait chauffé est récupérée comme une crème épaisse et onctueuse (öörööm) qui peut être frites en granules croustillantes (ötzgi) afin de le préserver. Cette crème peut aussi être placée dans l’estomac d’un mouton où elle fermente en une pâte acidulée blanche (tsagaan tos) qui jaunit avec le temps (char tos). Le yogourt peut encore être distillé en un alcool d’une dizaine de degrés (arkhi).

Vers la fin du printemps, les juments sont sevrées. Leur traite donne un lait très clair, mais riche en vitamine qui est versé dans une énorme outre en peau rangée à droite de l’entrée de la ger. Ce lait est constamment baratté pour fabriquer l’aïrag. C’est le fameux lait de jument fermenté dont les quelques degrés permettent d’égayer les festivités estivales et du grand naadam.

Dès que les plantes se remettent à pousser, les nomades commencent à effectuer des mouvements de rotation. Ils observent avec inquiétude et d’un regard connaisseur leur croissance afin de trouver de nouveau pâturage et savoir quand déplacer leur campement pour éviter une exploitation excessive des herbages. Ils doivent accommoder leurs migrations selon les besoins respectifs des chameaux, des chèvres, des bovins, des chevaux et des moutons. Dans le Gobi, les éleveurs doivent aussi tenir compte de la présence de l’eau ou des puits, ce qui rend la transhumance plus complexe.

La fin du printemps et le début de l’été sont les saisons de la tonte. Les poils d’hivers des chèvres sont arrachés l’aide d’un instrument à griffes. Ils donnent le précieux cachemire dont la finesse représente sans doute le point fort de l’économie nomade du Gobi. La laine de chameaux possède aussi une grande valeur pour la production de vêtements chauds. Celle de mouton sert souvent à la préparation de feutres pour isoler les gers ou la confection d’épais chaussons. À cette époque de l’année, le bétail est engraissé pour qu’il puisse passer l’hiver et les nomades usent de leur connaissance millénaire pour sélectionner les croisements qui engendreront la prochaine génération. Il s’agit de maintenir des races fortes capables de survivre durant les grands froids et les périodes de sécheresse.

Durant l’été la fabrication des produits laitiers atteint son maximum. Il s’agit d’accumuler une large quantité de fromage sec pour assurer des réserves suffisantes afin de franchir la dure saison hivernale. C’est aussi une période de chasse. Les Mongols chassent avant tout la marmotte, et, au Gobi, parfois l’argali, le bouquetin ou l’antilope. Ils ne consomment que la chair d’animaux herbivores, mais ils leur arrivent également de chasser des renards, des loups ou autres animaux pour satisfaire les besoins en fourrure ou en articles médicinaux des marchés chinois, russes, etc.

À cette époque de l’année, le bétail est engraissé pour qu’il puisse passer l’hiver et les nomades usent de leur connaissance millénaire pour sélectionner les croisements qui engendreront la prochaine génération. Il s’agit de maintenir des races fortes capables de survivre durant les grands froids et les périodes de sécheresse.

Vers la fin de l’été et au début de l’automne, les éleveurs doivent se préparer pour l’hiver. Ils amassent les bouses séchées pour alimenter le foyer, ajoutent du feutrage aux ger, fauchent ou négocient du foin. Il faut aussi réparer et consolider les murets des campements d’hivers et isoler les sols. Tandis que les températures baissent, ils doivent sélectionner le bétail. Les animaux qui ne passeront pas les grands froids sont abattus. La viande est séchée au soleil pour garantir une source de protéines jusqu’à l’été prochain lorsque chèvres, moutons et bovins recommenceront à s’engraisser. La fourrure des agneaux d’un an sert à la confection de gilets et de doublure pour les del (longues vestes traditionnelles mongoles) d’hivers. Alors, il s’agit de déplacer ger et bétail vers les campements d’hiver où la famille vit isolée pendant de longs mois puisant sur les ressources qu’elle a accumulées durant la saison chaude.


Campement nomade dans le Bayankhangor.
Les chevaux peuvent survivre dans le Gobi sur les plaines les plus riches en graminée. Province du Bayankhongor
Les chameaux de Bactriane sont parfaitment adaptés aux conditions du Gobi. Province de l'Ömnögovi
Les chameaux servent au transport des gens et des biens. Ils sont une source de lait et de viande pour les nomades et la force motrice qui permet les transhumances dans le Gobi. Province de l'Övörkhangai
Les jeunes maintiennent le troupeau autour de la ger. Province du Bayankhongor
Les puits figurent au coeur de la géographie du nomadisme dans le Gobi. Ils sont un repère central pour la transhumance et les réseau sociaux. Province du Dundgovi.
Les puits peuvent atteindre une trentaine de mètres de profondeur. Toutefois, leur durée de vie ne dépasse guère quelques années du fait du lent remplacement de l'acquifère. Province du Dundgovi.
Les chèvres sont attachées tête-bêche pour la traite. Une fois le labeur terminé, il sufit de défaire un seul noeud pour les libérer toutes à la fois. Province du Dundgovi.
Fabrication du fromage blanc. Province du Bayankhongor.
Fabrication de l'aïrag. Le troupeau de chevaux est excité avant de capturer les poulains à l'aide de la perche-lassot. Provinde du Dundgovi.
Fabrication de l'aïrag. Les juments suivent leur poulain une fois capturé. Province du Dundgovi.
Fabrication de l'aïrag. Les poulains sont attachés mais autorisés à téter le lait de leur mère. Province du Dundgovi.
Fabrication de l'aïrag. Les poulains sont sevrés afin de traire la jument. Leur lait est longuement barraté pour donner l'aïrag, une boisson légèrement alcoolisée et riche en vitamine. Province du Dundgovi
Tonte des chèvres. Leurs poils sont arrachés à l'aide d'une griffe. Ils donneront la précieuse laine de cachemire. Province de l'Övörkhangai.
Le hacha est un campement d'hiver avec protection contre le froid et les vents du printemps.