Les mangroves


Les mangroves: entre adaptations physiologiques et usages traditionnels

Les mangroves sont cette formidable avancée de la forêt sur la mer. C'est la fantastique adaptation de quelques espèces d'arbres au milieu extrême que sont les rivages côtiers. Un milieu sous l'influence permanante des marées qui hésite entre terre et mer. Ces espèces ont dû composer avec des éléments nocifs tels une forte densité saline, dont le sodium, poison pour les plantes, les sulfites, et un pH très alcalin, impropre à la croissance, réduisant l'absorption du précieux phosphore et augmentant la toxicité de l'aluminium ainsi qu'un milieu anoxique. Une forte concentration en sel assèche les plantes selon une loi simple qui veut que les fluides migrent vers la plus forte concentration en ions.

Toutefois, même si le nombre d'espèces pouvant vivre dans ces conditions reste limité, les mangroves sont là et se dressent fièrement dans ces eaux amères comme une victoire sur le biologiquement impossible. Ces espèces de mangrove ont développé différentes formes d'adaptation transformant leurs organes ou leur métabolisme en vue d'exploiter des niches particulières de cet écosystème. Les différents composants du sol, la variation des nutriments et la variabilité des facteurs de stress favorisent la présence de certaines espèces plutôt que d'autres en redessinant des zones forestières bien distinctes. Ce schéma est encore compliqué par les changements saisonniers et les fluctuations des marées. Lors de la saison des pluies, les rivières charrient une quantité importante d'alluvion riche en matière organique mais qui modifie aussi considérablement la structure, la texture et les conditions du milieu pour une durée temporaire. Lors des marées et durant la saison sèche, c'est la concentration saline qui augmente avec un impact certain sur la microfaune. Ces variations temporaires forcent les mangroves à s'adapter à un gradient important des facteurs de stress. Les mangroves à Sumatera poussent principalement dans un milieu qui varie entre un sol argileux et sablonneux.

Pneumatophores, ces racines aérées permettent à l'arbre de se purvoir en oxygen en milieu anoxique.
Un des nombreux cours d'eau qui allimentent la magrove de Gunung Anyar dans le sud de Surabaya.
Les pêcheurs se sont aussi adaptés afin de profiter de l'économie de cet écosystème.

Les espèces qui offrent une meilleure adaptation au stress salin ont développé plusieurs systèmes permettant d'exclure le sel ou de le rejeter. Des espèces telles que celles appartenant au genre Avicennia sp. ou Aegiceras corniculata peuvent absorber les ions salin par les racines, puis, les éliminer en les sécrétant par les feuilles. Elles présentent souvent un petit précipité, farineux, blanc sur le limbe des feuilles. D'autres espèces telles que celles appartenant à la grande famille des palétuviers, aux Rhizophoracées et aux genres Brugueria sp., Lumnitzera sp., Rhizophora sp. ou Sonnertia sp. ont développé un système d'ultrafiltration qui permet d'absorber sélectivement certains ions uniquement en excluant les autres. Ce système n'est pas optimal et est souvent doublé d'une capacité à stocker le sel dans certaines cellules ou de l'évacuer à la surface des feuilles lors de la transpiration. Les mangroves sont principalement des espèces d'arbres poussant en hauteur vers la lumière et évitant que la partie végétative soit hors de l'eau lors du mouvement des marées.

Les mangroves sont aussi un lieu de transit pour les pêcheurs qui s'aventurent vers le large.
Le varan malais est un excellent nageur que l'on rencontre fréquemment dans les mangroves. Il peut peser jusqu'à 60 kilos.
Le varan malais est un omnivore qui se nourrit essentiellment d'insectes, de crustacés, de poissons et de petits mammifères

Plongées dans la vase et ce milieu aqueux en permanence et soumises aux variations des marées, certaines espèces ont transformé leur base racinaire en de solides pivots arqués pour se dresser hors de l'eau et se maintenir dans la vase glissante. Cela donne à ces mangroves l'aspect caractéristique des forêts posées sur un enchevêtrement d'échasses, un réseau d'arcs racinaires, qui s'entremêlent. Ces racines de soutien prennent plusieurs formes et possèdent plusieurs noms selon leurs aspects. On parle de racines échasses pour ces racines qui poussent depuis le tronc pour prendre une forme arquée avant de plonger dans la vase. Ce type de racines est fréquent dans la famille des Rhizophoracées. Quelques espèces du genre Bruguiera sp. et Ceriops sp. ont développé un système racinaire rayonnant en surface du sol dont les racines poussent d'abord vers le haut s'exhibant du sol avant d'y replonger. Ce système racinaire poussant comme la navette sur la trame du sol laisse l'aspect de coudes angulaires émergeant du sol à proximité de l'arbre. Il existe aussi un système racinaire intermédiaire entre celui-ci et les racines en échasse des Rhizophora sp. inventé par les espèces de Lumniretza ssp. Il s'agit des racines contreforts ou traçantes. Ces racines en forme d'arrête rayonnent en serpentant à la surface du sol autour du tronc. On retrouve ce type racinaire chez Xylocarpus granatum notamment.

Un crabe des mangroves, probablement de la famille des Neosarmatium sp.
Ce Galasimus tetragon mâle possède un pince rouge disproportionnée. Il s'agit d'un apparat biologique permettant d'attirer une femelle pour l'accouplement.
Un crabe des mangroves, un autre représentant probable des Neosarmatium.

Dans ce milieu aqueux et anoxique, à la merci des inondations suivant les changements du niveau des marées, le system racinaire de certaines espèces a dû s'adapter pour assurer un accès permanent à l'oxygène. Elles présentent des excroissances poussant verticalement, en hauteur, à l'inverse du sens de la gravité et émergeant hors de l'eau. Cela donne l'aspect de pointes spongieuses émergeant de la vase ou de l'eau autour de l'arbre possédant des cloisons intérieures permettant de canaliser l'aire. Ces pneumatophores autorisent donc les racines de l'arbre de respirer dans ce milieu anoxique.

Certaines espèces, telles que les Sonneratia sp., ont poussé la perfection jusqu'à rendre ces pneumatophores hermétiques au sel et à l'eau en autorisant uniquement le passage des gaz. Certains de ces pneumatophores possèdent également des réservoirs hermétiques de stockage d'air permettant à la plante de pouvoir puiser sur ces réserves en cas d'inondation. D'autres espèces, notamment Brugeria sp., possèdent encore des pores parsemées sur le tronc pour permettre le passage de l'oxygène.

Les Oxudercinea, ou mudskipper en anglais, sont des poissons capables de survivre hors de l'eau. Ils possèdent des nageaoirs pectorales dont ils se servent comme des pattes.
Les Oxudercinea construisent des galleries humides qui leur permettent de se préserver de l'assèchement. Ils peuvent aussi respirer par leur peau comme beaucoup de batraciens.
Crabes mâles des mangroves qui possèdent une pince rouge disproportionnée dont la fonction est purement reproductive.

La viviparité et sa variante la cryptoviviparité sont encore d'autres particularités de la nature dont la fonction reste mal connue et qui se rencontrent beaucoup chez les mangroves. Dans ce cas, l'embryon commence à germer alors que le fruit est toujours accroché à l'arbre. Cela lui permet de continuer d'être alimenté par la plante mère, protégé de ce milieu hostile, lors des prémices de sa croissance. Lorsqu'il y a viviparité, l'embryon perce sa sortie hors de la graine et l'endocarpe du fruit pour pousser librement sur plusieurs dizaines de centimètres. C'est le cas chez les espèces de Bruguiera sp., Ceriops sp., Kandelia sp. et Rhizophora sp. Dans le cas de la cryptoviviparité, l'embryon perce l'enveloppe de la graine mais pas le fruit. Ce cas se présente chez les espèces appartenant aux genres botaniques Aegiceras sp., Avicennia sp. et Nypa sp. Cette particularité semble posséder plusieurs avantages écologiques. Premièrement les plantes peuvent germer dans des conditions stables et notamment préservées de cette forte salinité, deuxièmement une fois que les plantules se détachent de la plante mère, elles peuvent être aisément transportées par les courants marins ou les marées. Enfin, cela doit certainement conférer à la plante un avantage compétitif.

Les mangroves ne sont pas un univers clos mais offrent aussi de nombreuses interactions avec d'autres écosystèmes ou agro-écosystèmes dont certains peuvent se situer à des milliers de kilomètres dans les terres. Par exemple, les mêmes chauves-souris qui pollinisent les fleurs de durian passent la plupart de l'année dans les mangroves se nourrissant du pollen de Sonnertia sp. Les fruits de durian ne pourraient certainement pas mûrir dans des proportions généreuses sans la présence de mangroves saines à proximité. Les fleurs de durian n'éclosent que durant 3 semaines les chauves-souris ont par conséquent besoin de trouver d'autres sources alimentaires accessibles. Or, les fleurs de Sonnertia sp. éclosent et offrent du pollen durant toute l'année. C'est un pollen très nutritif et riche en protéine mais elle sera fournie en quantité et qualité suffisante que si la mangrove reste saine.

Les forêts de mangroves se retrouvent sur les côtes de toutes les mers tropicales et sont réparties sur 4 continents. Elles se retrouvent sur les côtes d'Afrique de l'Ouest et de l'Est avec toutefois une rupture en Afrique du Sud, à Madagascar, en Inde, au Bengladesh, en Asie du Sud-est, sur les îles Andaman d'Indonésie, de Papouasie et du Pacifique, au nord de l'Australie et en Amérique du Sud. Malgré cette large dispersion, c'est un peu toujours les mêmes espèces que l'on retrouve d'un bout à l'autre de son aire de dispersion. Cela montre à quel point les mangroves se sont adaptées à une dispersion par la mer. Cette dispersion est assurée par des fruits ou des propagules en forme de barques, possédant une structure spongieuse avec des petites poches d'air incluses. Certains de ces fruits et propagules peuvent flotter en mer durant plusieurs semaines. Il y a donc une grande interaction entre les différentes forêts de mangrove permettant un bon brassage génétique. Ce brassage est aussi à la racine d'une riche diversité génétique permettant d'héberger de nombreux caractères adaptatifs en cas de variation du milieu.


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